1.2.6 Contexte sécuritaire défavorable
En dépit des initiatives développées dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune en matière de paix et de sécurité, la dégradation du contexte sécuritaire et institutionnel persiste, engendrant de nombreuses conséquences sur le développement socio-économique des États, sur le plan politique, et sur le processus d’intégration régionale, sans compter la prolifération des armes légères et de petit calibre, ainsi que des Engins Explosifs Improvisés (EEI).
Sur le plan économique,
l’impact se manifeste par i) la réduction des investissements, ii) la perturbation des activités économiques et iii) la diminution du commerce communautaire. En effet, l’insécurité dissuade les investisseurs étrangers, qui perçoivent la région comme à haut risque. Cet état de fait réduit les flux d’IDE, pourtant essentiels pour le développement économique, la création d’emplois et le transfert de technologies au sein de la zone. L’instabilité pousse également les investisseurs locaux à déplacer leurs capitaux à l’étranger ou privilégier des investissements en dehors de l’Union, ce qui entraîne une fuite massive de capitaux et un affaiblissement des systèmes financiers locaux.
En outre, les conflits armés, les attaques terroristes et les coups d’État perturbent grandement les activités économiques ordinaires que sont l’agriculture, l’industrie et les services. Les entreprises locales ont un accès réduit au marché, ce qui leur génère des difficultés de financement, ainsi que des pertes de revenus et de moyens de subsistance. Tout particulièrement, les régions fortement touchées par l’insécurité voient leur secteur touristique s’effondrer, privant les économies locales d’une source importante de revenus et d’emplois. La zone UEMOA ne peut dès lors pas capitaliser sur le tourisme, à la mesure de son capital naturel et culturel très riche.
Enfin, l’insécurité coupe les routes commerciales, entraînant des interruptions dans les chaînes d’approvisionnement et augmentant les coûts de transport. Cette situation entrave ainsi le commerce intrarégional, et ralentit l’intégration effective de la zone. En 2023, les échanges intracommunautaires formels sont estimés entre 11 et 13% du total, ce qui demeure assez faible pour une zone économique intégrée.
Sur les plans social et humanitaire,
l’impact négatif de la dégradation du contexte sécuritaire et institutionnel est également visible dans i) l’accès limité aux services de base et ii) l'augmentation de la pauvreté. En effet, si la zone UEMOA dispose aujourd’hui du potentiel agricole suffisant pour nourrir sa population, la difficulté d’approvisionnement des marchés, notamment dans les zones de conflit, engendre de fortes tensions sur l’atteinte de la sécurité alimentaire pour tous. Les conflits et l’insécurité perturbent aussi le fonctionnement des services éducatifs, compromettant à long terme l’avenir professionnel de toute une génération. Les infrastructures de santé, déjà fragiles, ne peuvent être entretenues et approvisionnées, et l’accès aux soins de santé devient difficile.
Sur les plans administratif et politique,
on assiste au départ et/ou au repli de l’Administration publique (absence de l’État), à l’affaiblissement subséquent de l’autorité de l’État, à l’isolement de certaines zones, y compris pour l’organisation des élections (perte de souveraineté), à la menace sur la cohésion sociale et le vivre-ensemble (risques de conflits intercommunautaires).
- Le processus de construction d’un espace communautaire pleinement intégré est également affecté par l’insécurité, qui rend difficile ou ralentit la mise en œuvre des politiques et programmes communautaires.
- L’espace UEMOA n’est pas épargné par le phénomène de la circulation et de la prolifération illicite des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC). En effet, la région connaît des crises internes entraînant une circulation importante d’armes à feu. La plupart des pays de cet espace ont des frontières communes où règne l’insécurité. Certains ont connu une instabilité socio-politique, des conflits communautaires, voire la présence de groupes terroristes et de groupes d’auto-défense favorisant des trafics massifs d’ALPC.
À la fin de certains conflits internes, les forces armées des différents protagonistes ne font pas toujours l’objet de désarmement. En effet, l’absence d’un processus de désarmement efficace dans la plupart des États africains qui ont connu des conflits a favorisé la circulation des armes légères au sein des populations. Les civils, pour la plus grande majorité, profondément affectés par les atrocités et les harcèlements dont ils sont les principales victimes au cours des conflits en détiennent pour assurer leur sécurité. Certains encore cèdent leurs armes en contrepartie d’une rémunération, pour subvenir aux besoins primaires de leur famille dans une situation de grande pauvreté.
Cet état de fait favorise aujourd’hui, plus que jamais, une circulation souterraine des armes au niveau national, et même parfois entre les États. De nouveaux groupes armés se créent, s’approvisionnent de différentes façons (vol, trafic, attaque des camps militaires ou casernes, dissimulation, etc.), et profitent de la perméabilité des frontières résultant de la faiblesse des États et de leur incapacité à assurer les contrôles efficaces aux postes-frontières et de la facilité de transport de ces armes.
Outre le phénomène de l’insécurité auquel ils doivent faire face, les États membres de l’UEMOA demeurent fragiles. Cette fragilité est d’abord celle de l’Administration, qui n’a pas totalement acquis dans certains cas les caractères d’une institution impersonnelle et de permanence, qui devraient en être un trait distinctif. La fragilité est aussi liée à des difficultés de fonctionnement adéquat des services centraux des secteurs sensibles que sont la Défense Nationale, la Gendarmerie, la Police, les Services de renseignement. De fait, l’État en Afrique de l’Ouest est un espace pénétré du fait de l’insuffisance quantitative et qualitative de moyens financiers, techniques et humains. La récurrence des coups d’État et des éruptions sociales est la preuve de cette fragilité de nos l’États au-delà des aménagements politiques et institutionnels formels. Elle a comme conséquence majeure, l’impossibilité d’avoir un continuum politique, social et administratif, sans lequel il n’y a pas d’État. Celui-ci est soumis en permanence à des facteurs déstabilisateurs, et il doit y faire face. Au-delà de la classique sûreté de l’État, la réalité est celle de régimes et de processus politiques soumis à une interrogation et à une incertitude permanente.
Les États membres de l’UEMOA sont donc à la recherche de la stabilité, aussi bien des institutions que des processus politiques.
La situation sécuritaire constitue un défi majeur dans l’espace communautaire. Il s’avère dès lors nécessaire, au regard de la place désormais et malheureusement prépondérante de la question sécuritaire dans le chantier de l’intégration sous-régionale, de donner un mandat plus robuste à l’UEMOA, sans préjudice de sa mission principale dans les domaines économique et monétaire, et n’occultant pas le développement.
Par ailleurs, les bouleversements géopolitiques en cours en Afrique de l’Ouest, sur le continent et dans le monde provoquent une polarisation plus marquée des relations, d’une part entre les États membres de l’Union et les partenaires internationaux, et d’autre part entre les États membres eux-mêmes. Cette évolution de l’approche et du contenu des relations s’est avérée de nature à ralentir, voire à inverser le processus d’intégration de la région UEMOA.
Plus spécifiquement, la nouvelle donne géopolitique et géostratégique due à la création de l’Alliance des États du Sahel (AES) par le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger et surtout la décision de ces trois États de se retirer de la CEDEAO, affecte directement le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. L’UEMOA se voit dans l’impérieuse nécessité de prendre en compte ces évolutions dans la définition de ses priorités dans le domaine de la sécurité et pour la promotion d’une paix durable.